Jean-Claude
est un alcoolique de 40 ans. Cela
lui a pris un bout de temps à se l’admettre et à l’admettre aux autres.
Pendant longtemps il se disait : « Je peux arrêter
n’importe quand ! ». Quelques
verres pour être plus à l’aise avec les gens.
« On a bien le droit de se relaxer, de s’évader et de
socialiser. » se disait-il. « J’ai
bien mérité cela ! » « C’est agréable ! » « Il
n’y a rien comme l’alcool pour célébrer (ou se consoler) ! »
Il était convaincu que l’alcool faisait remonter le meilleur de lui-même
à la surface… au début!
C’était
plutôt agréable. Progressivement cela a toutefois pris de plus en plus de
consommation pour avoir le même effet. Il
a été surpris de constater jusqu’à quel point il se sentait mal s’il
tentait d’arrêter. Son corps le
faisait alors souffrir de partout. Et
il se mettait à être obsédé par l’idée de consommer.
Tout le reste devenait sans intérêt.
Jean
Claude ne continue pas à consommer pour les mêmes raisons qu’il a commencé
à consommer. Il ne ressent plus
vraiment de plaisir à consommer mais il est dépendant de l’alcool et il
ressent un besoin qu’il croit irrépressible de poursuivre sa consommation.
« Je n’ai pas le choix ! C’est
plus fort que moi ! Je ne suis pas
capable d’endurer cela ! » se dit-il.
Les
premiers essais d’arrêt de consommation n’ont pas été motivés par la
consommation excessive elle-même mais plutôt par les conséquences de plus en
plus désagréables de cette consommation.
Après plusieurs avertissements, ses parents, ses frères, ses sœurs et
son épouse se sont éloignés, blessés par les mensonges, les emprunts non
remis et les rechutes qui ont fini par avoir raison de leur compassion..
Jean Claude est sur le point de perdre son emploi (encore une fois). Il n’a plus de permis de conduire, ce qui lui complique la
vie sérieusement. Il a maintenant
un dossier criminel pour quelques bagarres dont il ne se souvient plus.
Sous l’effet de l’alcool, il s’est en effet trouvé mêlé à des
bagarres ainsi qu'à des activités sexuelles non protégées qui lui ont amené
des maladies transmises sexuellement. De plus ses droits de visite à ses enfants ont été
suspendus pour négligence parentale et violence.
Il
en a vu des personnes ressources : médecins, prêtre, travailleurs
sociaux, psychologues, ex-alcooliques… Il en a vu des organismes en passant
par les AA, le centre Dollar
Cormier, la Maison Jean Lapointe et bien d’autres ressources.
Pourquoi
boit-il? Il
a entendu tellement de points de vue à ce sujet !
Que
doit-il faire pour s'en sortir?
Encore bien des points de vue différents !
De
chaque épisode de soin, Jean Claude a retenu un petit quelque chose qu’il
tente d’utiliser à sa façon. Entre
autre « Toi seul peux t’en sortir, mais tu ne t’en sortiras pas tout
seul. »
Jean
Claude sait bien ce que les gens pensent à son sujet.
Il a l’impression que leurs regards trahissent leurs pensées :
« vicieux », « ivrogne », « menteur »,
« sans cœur », « paresseux ».
Il sait bien que les gens croient que son chemin se dirige vers
l’asile, la prison ou l’itinérance. Il
craint même d’avoir brûler toutes les ressources d’accueil et de
compassion. Cela lui fait mal d’être
exclus.
Parfois
Jean Claude devient découragé : il n’y a pas de réponse à ses
questions sur la mort, le sacré, l’amour et la haine, la joie et la
souffrance, le monde intérieur et les rapports aux autres.
Tout se vaut. Tout est de la merde.
Il
a décroché des valeurs du « système ».
De toute façon il ne réussit pas à gagner dans la course au pouvoir. Au diable la morale des gens au pouvoir.
Au diable l’idéal de vie de ses parents.
Il veut arrêter de se battre, de faire des efforts.
Mais parfois une petite partie de lui se réveille et lui rappelle qu'il
aspire à une vie plus porteuse d'espoir et de valeurs que ce qu'il vit présentement.
Ce
n’est pas facile de changer. On
se voit repasser constamment dans les mêmes chemins sans pouvoir en prendre
d’autres.
Jean
Claude est assez fier de ne pas consommer de drogue.
Il a essayé par curiosité et parce qu’il croyait y prendre plaisir
mais il a vu certains de ses «amis» se mettre à voler pour consommer cocaïne et
héroïne et il avait peur du milieu. Cela
lui a fait suffisamment peur pour qu’il s’en tienne à l’alcool.
Son
épouse a tenté de le sauver de son alcoolisme.
Plutôt que d’établir une relation égalitaire, leur relation était
complémentaire et inégale. Tantôt
elle le persécutait pour qu’il cesse de boire, tantôt elle le sauvait de la
déchéance, tantôt elle devenait victime de son style de vie.
Et lui-même tantôt lui promettait tout ce qu’elle voulait entendre,
tantôt la rendait responsable de tous ses malheurs et tantôt se présentait
comme une victime impuissante de la maladie.
Bien qu’il se sente souvent inférieur à sa compagne, Jean Claude
ressentait une certaine fierté secrète à ce qu’elle ne réussisse pas à le
« guérir ». De façon
inconsciente, il combattait ce qu’une partie de lui percevait comme une prise
de contrôle de sa vie. Personne ne
l’arrêtera de boire; ni sa femme, ni a police, ni les juges, les
psychologues, ni les AA… C’est sa vie après tout !.
Réussira-t-il?
Personne ne le sait. Ce qu’il sait c’est que les faux départs ne
sont pas vains. Il apprend quelque
chose de chaque épisode de soin. Ce qu’il sait aussi c’est que les rechutes
font partie intégrante du parcours. La
souffrance est inévitable. C’est
la vie qui chemine. La souffrance d’être un homme qui va mourir un jour.
À chaque fois qu'il sort sa boussole personnelle et qu'il se réoriente
dans la direction d'une vie plus satisfaisante et plus conforme à ses valeurs
les plus profondes, Jean Claude devient de plus en plus capable de s’inventer
une suite heureuse à sa propre histoire.
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Références
Brisson, Pierre (2000). L'usage des drogues et la toxicomanie. Montréal: Gaëtan Morin éditeur. 416 pages
Fortin,
Bruno (2004). Aider sans se détruire, une mission possible... L'Écho-Toxico,
14(1), janvier 2004. p. 5-6.
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Psychologue en milieu hospitalier depuis près de 30 ans, Bruno Fortin s'intéresse particulièrement aux stratégies d'adaptation face aux situations stressantes de la vie. Il a une vaste expérience d'enseignant et d'animateur d'ateliers. Il est l'auteur et le coauteur de nombreux ouvrages dont Intervenir en santé mentale, La gestion du stress au travail, La gestion des émotions, Se motiver et convaincre, et le tout dernier Comment améliorer mon médecin? aux Éditions Fides.
Janvier 2022, © Bruno Fortin, psychologue. Tous droits réservés.