Toucher le cœur et l’esprit en passant par la rate
Par Bruno Fortin, psychologue
Conférence présentée au Colloque de l'Association des cadres
des collèges du Québec (ACCQ) le 7 novembre 2002
Vous venez participer à une conférence intitulée «Toucher le cœur et l’esprit en passant par la rate.» Êtes-vous sérieux? Voulez-vous rire… de moi? Mourir de rire est-il bon pour la santé? Le fou rire est-il bon pour la santé mentale? C’est vrai que le fou rire détend... Avez-vous déjà vu un jeune enfant qui a un fou rire? Les muscles de ses jambes se détendent, ses genoux fléchissent... Il se roule bientôt par terre. Un peu plus longtemps et ce sont les muscles de sa vessie qui se détendent... Une grande détente pour lui…mais une toute autre histoire pour sa mère. Heureusement, il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin dans la détente lors de vos réunions. Un sourire pourrait suffire.
L’humour est une question de point de vue. Rechercher l’angle humoristique, c’est reconnaître qu’il y a plusieurs façons de voir la situation. Du point de vue de sa mère aimante, le fils alcoolique est un malade qui fait pitié. Du point de vue de son patron, c’est un problème qu’il faut gérer. Du point de vue d’Hannibal Lecter, c’est un met rare, mariné dans l’alcool, qu’il faut déguster.
L’humour dirige l’attention vers des points de vue originaux. Même au salon funéraire et à l’hôpital, les gens trouvent des moyens de rigoler. Il faut être parmi les vivants pour rire face à la mort et à la souffrance. Il est préférable que l’humour provienne du malade lui-même. Ce n’est pas une bonne idée de dire à votre collègue de bureau: «Chanceux, t’as le cancer. Quelle belle occasion de pratiquer tes techniques de gestion des opportunités! »
L’humour le plus bénéfique favorise une relation positive avec soi-même. Se regarder avec humour aide à nous prendre moins au sérieux. Rire de ses travers, c’est déjà un peu mieux les accepter. Vous êtes dans le trouble? Vous allez en rire dans deux semaines. Pourquoi attendre? Riez en maintenant. Payez plus tard. Tomber en bas d’un escabeau en renversant le gallon de peinture sur soi et sur son ex-meilleur ami crée de merveilleux souvenirs.
L’humour permet aussi de créer des liens. La recherche nous apprend que les femmes recherchent les hommes qui les font rire et que les hommes recherchent les femmes qu’ils font rire... Gilles Latulipe et Suzanne Lapointe seraient-ils le couple idéal?
L’humour est également une façon socialement acceptable d’exprimer son désaccord ou son hostilité. «C’était juste une farce, patron. » a sauvé bien des emplois au lendemain des parties de bureau. Bien sûr il y a des limites. Répétée tous les jours, cette phrase perd de son efficacité. L’ironie et le cynisme laissent des cicatrices. L’équilibre n’est pas facile à atteindre. Il faut savoir quand s’arrêter…
Quand avez-vous le plus rigolé? Quel est le moment le plus inattendu où vous avez vu se manifester un fou rire? Le simple fait d’y penser ramène notre esprit dans un état propice à la rigolade. Cela s’intensifie si l’on partage ces souvenirs. L’humour aime la compagnie.
Les gens souffrent souvent d’être trop isolés et de se prendre trop au sérieux. Certaines approches thérapeutiques misent sur l’humour comme moyen de créer des liens, de contourner les défenses rigides, et de se mettre en mouvement sans se laisser paralyser par l’anxiété.
Une présentation stimulante et motivante peut favoriser l’acquisition et la mémorisation de nouvelles connaissances ainsi que son intégration ultérieure dans un nouveau style de vie. Les étudiants obtiennent de meilleures notes lorsqu’on utilise l’humour dans l’enseignement. L’humour facilite la compréhension, retient l’attention, facilite la mémorisation et permet de gérer les comportements dérangeants. Il crée une attitude positive envers la tâche que l’on exécute et réduit l’anxiété. Il augmente également le degré de satisfaction des gens.
Le système immunitaire devient significativement plus actif après le visionnement d’une vidéo humoristique. L’humour est utilisé pour améliorer les attitudes, réduire l’anxiété et augmenter la performance. C’est un des facteurs facilitant le développement du sentiment d’efficacité personnelle. L’humour favorise la cohésion, favorise la créativité et soulage du stress.
De quelle façon l’humour peut-il soulager le stress?
C’est une puissante technique de distraction qui éloigne temporairement notre esprit de la poubelle et nous permet de nous reposer pour revenir à la résolution de problème à notre meilleur.
Il permet de connaître les gens qui nous entourent sous un nouveau jour.
Il peut favoriser la réflexion sans faire la morale.
Il permet de tâter le terrain et de vérifier si les canaux de communications sont ouverts.
Il peut constituer une première étape vers une discussion plus sérieuse.
Il permet de satisfaire plusieurs besoins simultanément : jouer, exprimer ce qui nous préoccupe et ce qui nous intéresse, socialiser, montrer ses habiletés sociales, sa mémoire, séduire…
Il calme l’anxiété.
Il permet de prendre une distance face à un problème ou à une préoccupation : si on croit pouvoir en rire dans un an, pourquoi ne pas commencer à en rire dès maintenant…
Il nous amène à relativiser l'importance que nous accordons à notre image sérieuse. Celui qui ne mérite pas un rire…
Il permet d’exprimer son insatisfaction d’une façon socialement acceptable (si l’on respecte certaines limites).
Il permet de nuancer ses pensées.
Il permet de choisir ses amis (qui ont un sens de l’humour semblable).
Il nous met en contact avec des gens qui pourront devenir des ressources au sein de notre réseau
Il favorise un équilibre entre le jeu et le travail.
Certaines formes d’humour sont associées à un mode de pensée incongru et peuvent faciliter la créativité dans la recherche de résolution de problème. Le désir de bien comprendre ce qui est drôle favorise par exemple l’apprentissage d’une langue étrangère.
L’utilisation de l’humour diminuant l’anxiété, diminuant l’inconfort et fournissant un mécanisme d’adaptation, il a été recommandé de l’utiliser pour aborder des sujets délicats. Le pouvoir de l’humour est bien connu par le personnel infirmier qui l’utilise pour détourner l’attention des enfants au moment des prises de sang et des vaccins.
À condition d’en éviter l’abus et d’en éviter certaines formes, l’humour augmente l’attention et l’intérêt et aide à illustrer et à renforcer ce qui est exprimé. Le sarcasme et l’ironie peuvent contenir une trop grande part d’hostilité. L’humour est une arme à deux tranchants dont les effets peuvent devenir nuisibles dans certaines circonstances. Rappelons que l’humour peut être une façon socialement acceptable d’exprimer son hostilité ou sa révolte. C’est souvent une question de degré et de contexte. Si la communication n’est pas assez ouverte pour que des vérités importantes puissent être exprimées, il y a un risque pour qu’elles s’expriment indirectement à travers des commentaires corrosifs. L’ambiguïté qui peut être associé à l’humour favorise des malentendus : celui qui est particulièrement sensibles à certaines allusions percevra des attaques où il n’y en a pas nécessairement. Il faudra alors faire l’effort de parler sérieusement à la bonne personne, avec la bonne intensité, au bon moment.
L’utilisation de matériel humoristique implique l’utilisation d’habiletés qui peuvent être apprises par la pratique. Heureusement, cette pratique peut être agréable. Recherchez des modèles qui utilisent adroitement l’humour. Cela pourra agrémenter votre vie tout en vous permettant de développer vos habiletés humoristiques.
McGhee (1999) suggère à ceux qui veulent développer leur sens de l’humour 1) de
découvrir le type d’humour qu’ils apprécient et de s’en entourer, 2)
d’apprendre à développer une attitude ludique pour éviter de se retrouver en
phase terminale de sévérité, 3) de rire plus souvent et de bon cœur en
commençant à raconter des plaisanteries et des histoires drôles, 4) de
pratiquer les jeux de mots en remarquant les ambiguïtés verbales (j’ai besoin
de l’attention; j’ai besoin de la tension), 5) rire avec les gens (et non rire
des gens) en trouvant l’humour qui se cache dans le quotidien (coïncidences,
ironie, rigidité), 6) rire de soi et ne pas trop se prendre au sérieux
(personne n’est parfait, planifier des réponses humoristiques pour les moments
inconfortables, exagérer certains traits) (sans se dévaloriser) et 7)
rechercher l’humour au cœur du stress (comment on en rira demain, se faire des
images mentales humoristiques, rechercher le point de vue du verre à moitié
plein, rechercher ce qui peut sortir de bon de cette situation, exagérer le
problème).
Dans son livre « Laughter : A scientific investigation», Robert Provine (2000) suggère dix stratégies pour favoriser le rire :
Trouver un ami ou un étranger aimable.
Plus il y a de gens, mieux c’est.
Augmentez les occasions de contacts interpersonnels (introduire les gens les uns aux autres).
Créez une atmosphère détendue.
Attendez-vous à rire et soyez-y disponible.
Profitez de l’effet de contagion du rire. Recherchez des gens qui aiment rire.
Fournissez du matériel humoristique (blagues, dessins, livres, vidéos, films, enregistrements…)
Enlevez les inhibitions sociales (être entouré de personnes qui nous acceptent, être protégé des regards indiscrets…)
Créez des événements sociaux (toutes les excuses sont bonnes).
Chatouillez. Habituellement réservé aux enfants, aux amis intimes et aux amants.
Les pensées et les sentiments que nous avons au sujet d'un problème sont aussi importants que le problème lui-même en ce qui regarde l'impact d'un événement sur notre vie. L’humour peut nous aider à nuancer nos fantaisies catastrophiques. Cela transforme alors le monde en un lieu un peu plus agréable à vivre. C'est ce que je vous recommande de faire, et je vous en remercie à l’avance.
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Psychologue en milieu hospitalier depuis plus de 35 ans, Bruno Fortin s'intéresse particulièrement aux stratégies d'adaptation face aux situations stressantes de la vie. Il a une vaste expérience d'enseignant et d'animateur d'ateliers. Il est l'auteur et le coauteur de nombreux ouvrages dont Comment améliorer votre médecin? aux Éditions Fides.
Janvier 2017, © Bruno Fortin, psychologue. Tous droits réservés.