Convaincre et persuader : des outils utiles et légitimes en travail social

 

par Bruno Fortin

 

 

Introduction

 

Les travailleurs sociaux règlent quotidiennement de problèmes complexes dont la solution nécessite de collaborer avec autrui. 

 

·        Un médecin vous demande de trouver une ressource d’hébergement pour une personne âgée.  Il souhaite libérer un lit le plus rapidement possible.

 

·        Vous rencontrez des parents suite à un signalement à la protection jeunesse.  Ils sont convaincus que leurs techniques éducatives sont adéquates.  L’équipe d’évaluation n’est  pas du même avis. 

 

·        Vous souhaitez convaincre un médecin de continuer à s’occuper d’un patient désagréable qui a l’habitude de s’opposer au plan de traitement et de cesser médication et visites aux institutions. 

 

·        Vous informez le juge des besoins d’un itinérant référé au curateur public.

 

·        Vous souhaitez contribuer à une répartition des tâches équitable au sein de votre équipe de travail.

 

Que ce soit en contexte d’autorité ou non, les différents acteurs en jeux ont des pouvoirs et des points de vue différents.  Faut-il se soumettre aux exigences d’autrui?  Faut-il utiliser son pouvoir pour imposer sa solution et son point de vue sans respect envers les clients, les collègues, les supérieurs et les collaborateurs?  Faut-il être en priorité au service de l’institution?  Du client?  De soi-même?  Nous verrons que convaincre est une entreprise complexe qui puis dans l’ensemble de nos ressources et de nos habiletés en explorant l’art de la persuasion dans une demande d’hébergement, dans un refus d’hébergement et dans une présentation à une équipe interdisciplinaire. 

 

 

Des stratégies adaptées pour atteindre des objectifs multiples

 

Devant prendre une position sur un sujet sur lequel des personnes raisonnables peuvent être en désaccord, l’intervenant social devra présenter des arguments basés sur des connaissances mais également façonnées par des composantes émotives. 

 

Certains persuadent les autres à travers des stratégies d’intimidation.  Les intervenants psychosociaux ne visent pas seulement à convaincre : ils souhaitent tout autant la construction et le maintien de relations harmonieuses et efficaces et d’un sentiment de partenariat avec autrui.  La persuasion doit alors être atteinte d’une façon amicale et positive.

 

Le travailleur social se retrouve souvent au sein d’équipes interdisciplinaires où le partage respectueux du pouvoir et la reconnaissance des compétences réciproques sont menacés par les contraintes budgétaires, les conflits de besoins et les agendas personnels cachés.  L’argumentation est inévitablement associée à l’éthique : il prendra position en tenant compte des effets de son appartenance à une communauté, à une institution et à une discipline. 

 

Son désir de favoriser l’appropriation de son pouvoir (empowerment) chez le client et de jouer son rôle de représentation (advocacy) sera satisfait dans la mesure où il pourra influencer positivement le cours des événements, dans la direction que le client ou ses représentants le souhaiteraient s’ils avaient l’information et la formation pertinente.  La capacité d’amener autrui à changer d’idée, à modifier ses intentions, à transformer son comportement est au cœur de la capacité d’atteindre des buts professionnels.  L’intervenant psychosocial a non seulement un pouvoir d’influence, mais un devoir d’influence.  Comme le souligne Barilan et Wintraub (2001) et Varga (2001), cela serait aussi immoral de ne pas tenter de persuader un client de faire ce qui est bon pour lui que de ne pas respecter sa décision une fois ces arguments présentés.  Cela serait trahir la confiance de ses clients de ne pas défendre leurs intérêts auprès des intervenants et des institutions avec lesquelles le travailleur social collabore. 

 

Le pouvoir de convaincre et de persuader a souvent été associé à la vente et à la recherche subséquente de gains financiers.  Cela serait une erreur de croire que ces stratégies ne s’utilisent que dans ce contexte.  Davidhizar et Eshleman (1999) soulignent que Martin Luther King, Mère Thérésa, et Mahatma Gandhi ont influencé des milliers de personnes sans être dans le domaine de la vente.  Ils ont influencé les autres en fournissant un rêve qui a touché le cœur et l’esprit des gens.  Ils ont créé des images puissantes qui ont motivé des générations d’êtres humains à modifier leur destin. 

 

Des tactiques différentes d’influence seront utilisées selon le statut des personnes en interaction.  Les stratégies ne seront pas les mêmes selon que l’on souhaite convaincre un pair, un supérieur hiérarchique ou un subordonné.  L’efficacité de la persuasion dépendra des individus impliqués, des tactiques utilisées et de la crédibilité établie. 

 

Pour convaincre et persuader, le travailleur social peut modifier les connaissances d’une personne, ses perceptions et ses attentes.  En recourant à l’information, aux suggestions, au raisonnement ou aux encouragements directs, il influencera les sentiments, les croyances, les attitudes, les valeurs, les intentions et la façon d’agir. 

 

L’enfant devient persuadé qu’il est possible de faire certaines choses en observant les adultes autour de lui : ses modèles le convainquent qu’il est possible d’aller à bicyclette, de nager, de patiner.  Ils peuvent également lui apprendre qu’il est possible de régler des conflits par les échanges verbaux, qu’il est souhaitable de tolérer les frustrations pour atteindre ses objectifs et que plutôt que de choisir la passivité, il vaut mieux être affirmatif et convaincant.  En considérant le subtil art de la persuasion comme une habileté que l’on apprend, le travailleur social augmente ses chances de le développer.  Observer un collègue habile à la résolution de problème peut l’aider à développer ses habiletés dans ce domaine. 

 

Faut-il hurler pour convaincre?  Persuader est-il une question de porte voix et de coup de massue?  D’agitation?  Rappelez-vous une rencontre familiale tumultueuse où un ouragan émotionnel semble empêcher toute amélioration de la situation.  La capacité de persévérer et de communiquer sereinement favorise un retour au calme permettant la résolution des problèmes et l’atteinte d’un nouvel équilibre.  Face à la rancœur, à l’incompréhension, aux forces de dissolution et aux complots, Varga (2000) suggère d’opposer la préservation de la raison, de la persévérance et de la dignité. L’intervenant psychosocial est un modèle pour ses clients.  Il l’est également pour ses pairs.

 

Davidhizar (2000) souligne l’importance d’établir une relation positive avec ceux que l’on souhaite convaincre.  La politesse, les sourires, les comportements amicaux et agréables faciliteront l’établissement d’un rapport productif, tout comme l’humour approprié et les anecdotes évoquant des expériences personnelles. 

 

Cialdini (2001) souligne que la persuasion est une science que l’on peut apprendre.  Les gens ont plus de chance de suivre quelqu’un qui leur est semblable.  Les gestionnaires sages enrôlent donc des employés pour les aider à faire passer leurs messages auprès des autres.  Les gens sont plus prêts à coopérer avec ceux qui les aiment.  Cela vaut donc la peine de prendre le temps de découvrir de véritables similarités et d’offrir de sincères louanges.  Les gens tendent à traiter les autres de la façon qu’ils sont traités.  C’est donc une bonne politique de faire une faveur à celui de qui on recherchera une faveur par la suite. 

 

Les individus ont plus de chance de tenir les promesses qu’ils initient volontairement et publiquement.  Le gestionnaire aura donc avantage à favoriser des engagements volontaires affichés, diffusés ou formulés devant témoin.  Les études démontrent que les gens vouent plus de considération respectueuse aux experts.  Avant d’essayer d’exercer une influence, il vaut donc mieux prendre la peine d’établir sa propre expertise et ne pas assumer que cela est si évident pour les autres.  Les gens souhaitent surtout obtenir ce qui est rare.  Fournir une information privilégiée, de façon intime ou confidentielle est plus convainquant que de fournir des informations facilement disponibles pour tous.  Ces éléments aident à capter l’attention d’une audience, à convaincre l’indécis et à convertir l’opposition à son point de vue. 

 

 

Des stratégies convaincantes pour une demande d’hébergement

 

Afin de mieux circonscrire un champ de réflexion, prenons l’exemple d’une demande d’hébergement.  Vous présentez à l’équipe de sélection le cas d’une personne qui à vote avis a besoin d’être hébergé à cette institution.  Comment procéder?

 

Il sera plus facile d’obtenir le résultat désiré en connaissant suffisamment notre cible pour y adapter notre demande.  Comprendre la motivation d’autrui vous permettra d’adapter votre langage et vos arguments : vous ne prendrez pas la même stratégie pour convaincre quelqu’un qui est motivé à comprendre la situation dans toutes ses nuances, quelqu’un qui est surtout intéressé à se mettre en valeur ou quelqu’un qui est motivé par la défense de privilèges acquis (Wood, 2000).  En général, il vaut mieux choisir le moment propice, adopter un ton déterminé, calme et persistant. 

 

Une description détaillée du problème auquel nous souhaitons obtenir une solution permettra à nos interlocuteurs de comprendre la raison de notre demande.  En présentant les faits et en soulignant en quoi ils constituent un problème important qui mérite une intervention spécifique, nous orientons l’attention du comité.  Un dossier bien monté comprend les évidences sur lesquelles les gens peuvent s’entendre.  Pour avoir plus d’impact, il vaut mieux rapporter ce que nous avons vu personnellement ou ce que des témoins directs crédibles ont rapporté.  Il faudra ajuster l’ampleur de la présentation au temps disponible.  La remise de documents résumant l’essentiel favorise la transmission du message.

 

Dans un contexte informel, communiquer une image puissante du pire scénario assure une implication émotive.  Affirmer  «Je ne voudrais pas qu’on le retrouve geler sur le bord du trottoir demain matin…» attire certainement l’attention.  Abuser de cette stratégie risque toutefois d’en diluer la valeur.  Une image trop forte risque d’être contre-productif en étant perçu comme une agression, une menace et un manque de respect.

 

Il en est de même pour l’utilisation d’images personnelles suscitant la compassion.  Il faudra tenir compte de la qualité du rapport établi avant de toucher l’intimité des gens.  Une stratégie puissante peut devenir une insulte si le rapport interpersonnel n’est pas établi.  Des phrases telles que : «Si c’était ma mère... », «Si c’était ta mère... » peuvent toucher l’interlocuteur au point de le rendre hostile.

 

Une fois le problème établi, le travailleur social présente une suggestion de solution, un plan structuré en soulignant en quoi cette démarche est conforme aux politiques de l’institution et aux règles de bonne pratique.  Il est plus facile de persuader les gens si on peut subdiviser la démarche en étapes.  C’est le principe du pied dans la porte.  Une fois le processus engagé, il est plus probable que l’on puisse le compléter.  «On pourrait au moins commencer par faire une évaluation complète de la situation»…

 

Face aux objections des personnes présentes, il est toujours possible de rechercher un compromis : «Je comprends que nous n’avons pas les ressources pour une intervention à long terme, mais nous pourrions au moins faire une intervention de crise complète.  »  Cela démontre notre bonne volonté tout en maintenant notre ligne d’action.

 

Il est plus facile de refuser une demande si l’on n’est pas impliqué personnellement dans la recherche de solution.  L’intervenant social qui réussit à mobiliser autrui en créant au besoin un malaise, une tension, une implication a plus de chance que ses suggestions soient acceptées :   «Je comprends ce que tu dis.  Mais il faut faire quelque chose.  On ne peut pas simplement s’en laver les mains.  Qu’est-ce que l’on peut faire ?  Qu’est-ce que tu suggères ? »

 

L’évocation des hypothèses favorables augmente l’attrait de nos suggestions.   «Dans deux mois, avec notre aide, cette mère pourra…»  Les arguments peuvent également souligner les avantages financiers (ou autres) : «Donner des services coûte cher, mais ne pas en donner aussi.  Pensons au prix d’une hospitalisation…»

 

Pour présenter des principes moraux favorables au changement, l’intervenant peut puiser dans les principes de la politique de la santé mentale, dans la formulation de la mission et des règles éthiques de l’établissement.  «Ce patient a droit à des services de qualité dans son milieu de vie. » «Nous prônons le respect du choix des personnes dans notre code de vie…»

 

La présentation d’exemples positifs antérieurs favorise l’adhésion au plan de traitement.  «Souvenez-vous, Claude Tremblay était dans le même état au début de ses traitements.  Maintenant…»  En contrepartie, l’évocation des complications associées au refus le rend moins probable : «Je ne voudrais pas qu’on reçoive une lettre de l’avocat de la famille, un téléphone du protecteur du citoyen, une lettre du député, une visite d’un représentant du curateur publique, un grief syndical, qu’on se retrouve dans les journaux la semaine prochaine…»

 

Tout administrateur craint d’établir un précédant qui créera une brèche dans les procédures.  En plaidant l’exception, l’intervenant s’adresse à cette crainte.   «Donnez-nous une chance pour cette fois, c’est rare qu’on vous demande quelque chose. » «Il ne s’agit pas de créer un précédent.  Il s’agit d’un cas d’exception.»

 

L’intervenant peut finalement évoquer le recours à une autorité supérieure : «La régie régionale étudie présentement les dossiers des personnes qui se perdent dans les zones grises du système.  Je suis certain qu’elle nous demanderait de lui donner des services et qu’elle comprendrait difficilement un refus de s’impliquer. » «Le directeur général m’a dit la semaine dernière que ce genre de cas ne devait plus être mis de côté…» «Le conseil d’administration est-il au courant des effets du manque de ressources ? »

 

 

 

Des stratégies convaincantes pour refuser et mettre des limites

 

Reprenons cet exemple de demande d’hébergement en vous imaginant cette fois membre de l’équipe de sélection.  Vous considérez que cette demande doit être refusée.  Comment procéder?

 

Dire non peut être difficile.  Il faudra parfois persuader l’autre de la pertinence d’un refus.  Pensez aux situations ou il faut refuser d’accueillir une personne en détresse dont le profil ne correspond pas au mandat de votre institution, aux limites imposées par les ressources disponibles, à l’importance d’éviter de se brûler au travail.  Comment refuser? 

 

En premier lieu, il est inévitable d’évoquer le mandat de l’institution.  Quelle est la tâche principale de l’institution, celle qui amènerait sa fermeture si elle n’était pas exécutée?  Une fois le mandat clarifié, il sera plus facile d’expliquer en quoi la situation présentée n’est pas conforme à ce mandat.  «Notre institution n’offre pas ce service.  Nous n’avons pas le mandat d’héberger des personnes en détresse. »

 

Le refus d’étendre les services au-delà du mandat de l’institution peut également se justifier par un désir de favoriser la responsabilisation et la création d’autres ressources  :  «Si on continue à contribuer à camoufler l’existence d’un problème, personne ne va développer les ressources nécessaires. »

 

Dans le même ordre d’idée, l’intervenant peut référer à la loi.  Au-delà de la bonne volonté, une équipe d’intervention psychosociale ne peut décider d’un fonctionnement illégal sans devenir un modèle négatif et sans risquer des représailles.  «C’est la loi.  Notre mandat légal nous défend de recevoir des personnes nécessitant des traitements médicaux. »

 

La référence aux limites du budget est malheureusement devenue une réponse fréquente au cours des dernières années.  «Il y a un moratoire sur les placements d’ici à la fin de l’année. »  « Le budget ne le permet pas.  Je vais devoir fermer la ressource avant la fin de l’année si j’accepte plus de patients. »

 

Le refus peut être basé sur des principes moraux et les droits d’autrui.  Pour convaincre son interlocuteur de la pertinence d’un refus, le travailleur sociale peut évoquer par exemple la qualité des soins des bénéficiaires déjà hébergés: «La qualité du traitement des gens que nous prenons en charge va diminuer si nous étendons nos ressources au-delà de nos capacités. »

 

Le refus peut également être basé sur un désir que la personne ait accès à de meilleurs services.  L’intervenant peut alors évoquer l’importance d’obtenir des soins de qualité: «Elle aura de meilleurs services à une ressource spécialisée pour ce genre de problème.  »  Lorsque le problème présenté relève du mandat d’une autre institution, on peut suggérer une alternative : «Pour la fin de semaine, il peut aller à la ressource d’hébergement «La Casa».  Téléphonons-leur pour préparer le terrain.  »

 

Le responsable de la ressource peut également mentionner l’importance de respecter les limites et la sécurité de son personnel : «Nous ne pourrons pas aider grand monde si notre personnel est brûlé…»  Le rappel d’un exemple négatif connu par l’équipe peut être convainquant : «Nous nous sommes déjà trouvés dans cette situation.  Rappelez-vous Pauline Lazzy.  Elle a mis le feu à l’établissement et envoyé trois thérapeutes en congé de maladie pour burnout. »  Les responsables de la ressource peuvent offrir un partager du fardeau : Nous pourrions fournir un service de soins à domicile pour les soins de santé pendant que le centre de rééducation fournit un service d’éducateur spécialisé. 

 

L’intervenant psychosocial peut exprimer son refus sous forme d’incompréhension :  «Je ne comprends pas ton insistance.  Comment penses-tu que nous puissions accepter ce mandat en tenant compte de notre mandat, de notre budget, de nos ressources actuelles ? »  «Je ne vois toujours pas comment c’est possible en respectant notre réalité.  Il va falloir m’expliquer cela mieux que cela pour me convaincre. »

 

L’intervenant peut également évoquer la nécessité de maintenir un point de vue nuancé et des des attentes irréalistes :  «On ne pourra tous les sauver… »«On ne peut pas les adopter…»«Il y aura toujours de la souffrance.  »«Ce n’est pas nécessairement le style de vie que je souhaiterais pour mes enfants, mais il y a toutes sortes de façon de vivre.  Certains choisissent un style de vie marginal et ils en assument les conséquences.»

 

Dans un contexte qui le permet, l’intervenant peut évoquer l’implication personnelle excessive : «Je comprends que cela te touche beaucoup.  Je me demande même si cela ne te touche pas trop personnellement.  Je comprends tout ce que tu es prêt à faire personnellement, en plus de ton travail régulier.  Je ne voudrais pas que tu prennes ce problème là sur tes épaules et que prennes des initiatives personnelles qui t’amèneraient à te mettre en danger et à t’épuiser.  »  Ce type de commentaire suggère l’établissement d’une relation professionnelle respectueuse.  Les attaques personnelles, les interprétations sauvages et les sous-entendus moralisateurs ou méprisants ne faciliteront pas la création de la relation de travail harmonieuse désirée. 

 

Le refus peut être en soi une intervention psychosociale si elle est bien expliquée à la personne.  L’intervenant peut présenter des principes moraux favorables au refus : «Ce patient a besoin d’être confronté à la réalité de nos limites.  Nous devons susciter des attentes réalistes.  Il n’a pas quatre ans.  Nous ne sommes pas papa et maman.  Il doit se responsabiliser et assumer la conséquence de ses actes.  C’est un adulte.  Il a choisi un style de vie.  Nous devons respecter ses choix et le laisser en assumer les conséquences.  »

 

L’intervenant d’expérience peut évoquer un processus temporel qui situe la situation comme ayant un sens partagé par plusieurs personnes dans le présent, en référant à une expérience passée semblable et en évoquant ce qui se produira plus tard : «Je comprends comment vous vous sentez, c’est arrivé souvent que des intervenants ressentent la même chose.  Avec le temps, ils en viennent à constater que…»

 

 

Convaincre une équipe interdisciplinaire

 

Vous aurez à présenter un cas complexe à une équipe interdisciplinaire.  Il faudra justifier une demande de subvention auprès de l’organisme qui l’accorde.  Il faudra justifier la répartition du budget de l’établissement devant des administrateurs dont les intérêts sont en conflits avec les vôtres.  Certains administrateurs auront besoin qu’on leur vende la mission de l’institution.  Une présentation mal préparée peut avoir un effet désastreux et nuire à la réalisation de vos buts professionnels.  Davidhizar et ses collaborateurs (Davidhiza, et Rozendal, 1998; Davidhizar et Eshlemane, 1999 et Davidhizar, 2000) suggèrent des stratégies pour mieux utiliser les rencontres d’équipe.

 

 

Il vaut mieux penser avant d’agir.  Avant la rencontre, faites vos devoirs.  De quoi voulez-vous convaincre les gens?  Quels sont les arguments qui auraient des chances de les amener à adopter votre point de vue?  Quelle réaction pouvez-vous anticiper?  Certaines personnes résistent au changement par habitude, par loyauté envers la personne qui a installé le système actuel ou par peur de perdre des privilèges.  D’autres perçoivent une menace à leur sécurité, à leur estime de soi, une perte de statut, un inconfort, un travail ou une pression supplémentaire, une perte de familiarité au niveau de leur environnement et de leurs relations ou se réfèrent à de mauvaises expériences antérieures.  Une fois ces peurs identifiées et expliquées, il peut y avoir moins de résistance au sein du groupe.  Être bien préparé, bien informé sur le dossier et prêt à répondre aux questions facilitera la persuasion.

 

Rencontrez les personnes clés avant la rencontre.  Vous reconnaissez ainsi leur importance.  Une conversation en tête-à-tête vous permettra d’écouter leur point de vue.  Argumenter sans comprendre n’est pas efficace.  Il faudra d’abord comprendre leur point de vue.  Cela facilitera l’établissement d’alliance positive qui sera utile au moment de la rencontre.  Ce support vous permettra de vous présenter à la rencontre plus confiant.  Inclure dans votre présentation les suggestions de personnes clés rendra votre présentation plus convaincante. 

 

Ces rencontres préliminaires vous permettront également de vérifier s’il y a des chances que votre point de vue soit adopté ou s’il faut y travailler encore un peu avant de l’amener en réunion.  La présence d’un allié, respecté par le groupe, qui présente une partie de vos arguments et ajoute un mot de support peut aider à persuader certains membres du groupe. 

 

Soulignez dès le début les buts et valeurs partagées : «Nous voulons tous que les clients obtiennent les meilleurs services possibles au meilleur coût possible».  On peut également reconnaître le désir de changement : «Je sais que vous être préoccupé par cela depuis longtemps.  Voici une solution à ce problème.»

 

Expliquez votre position et les raisons de son importance.  Les participants devraient obtenir suffisamment d’information pour comprendre.  Cela leur permet de se faire une idée de la proposition à partir de connaissances pertinentes..  Les avantages (pour le client, pour les coûts, etc.) sont présentés.  Il ne faut pas assumer que chacun a le même niveau de connaissance.  Il faudra suffisamment d’information pour que tous soient informés, sans infantiliser les gens en leur expliquant ce qu’ils savent déjà.  Sans suffisamment d’information, une sage décision ne peut pas être prise.

 

Soyez convaincu pour être convainquant.  Bien qu’une attitude agressive et hostile peur convaincre par intimidation, ce n’est pas un moyen efficace d’obtenir un travail de groupe coopératif et efficace.  Le partenariat est favorisé par une attitude positive et le leader qui dirige avec un sourire, un peu d’humour et une attitude stimulante peut susciter un enthousiasme contagieux.  Lorsqu’une position est présentée d’une façon énergique plutôt qu’ennuyante, un argument faible peut être accepté par ceux qui apprécient le style de communication du présentateur. 

 

Exprimez autant que possible votre accord avec les idées des autres.  En soulignant en quoi les idées présentées sont de bonnes idées, le présentateur se fait des alliés.  En présentant les avantages de sa proposition, le présentateur reconnaît et utilise les propositions d’autrui : «C’est une excellente idée et je pense que vous avez souligné un très bon point».  Incorporer les idées des personnes du groupe à la position présentée facilite l’acceptation de l’idée et permet de mettre l'emphase sur les points d’accord.  Si les commentaires peuvent être reformulé pour sembler provenir de votre interlocuteur, la résistance est moins probable.  «Vous vous souvenez lorsque nous avons discuté l’autre jour à ce sujet?  Si nous combinons cette idée avec cette autre, je pense que nous aurons une approche très efficace. Vous avez eu une très bonne idée et je pense que nous avons besoin de l’utiliser.» 

 

Présentez vos expériences personnelles pertinentes.  Cela augmente votre crédibilité.  Celui qui peut présenter des expériences personnelles et démontrer connaissance et expertise sur le sujet a plus de chance de persuader.  «Nous avons commencé un programme semblable a cela à mon dernier emploi.  J’étais en charge de son implantation et j’ai trouvé que cette stratégie aidait vraiment à en faire un succès.»

 

Écoutez les objections apportées.  Cela vous permet de démontrer une certaine courtoisie envers les personnes présentes et vous donne de l’information sur leurs résistances.  Au besoin, ralentissez et prenez quelques respirations profondes.  N’ayez pas l’air trop rigide ou trop pressé.  Si le présentateur a l’impression que son idée n’a pas bien été communiquée au groupe, plutôt que de passer au vote ou d’annoncer une initiative unilatérale, il peut reporter l’action.  «Maintenant que nous avons de l’information sur ce sujet, donnons-nous un temps pour digérer tout cela.  Nous allons y revenir la semaine prochaine.  »Cela permet de convaincre quelques personnes de plus que l’idée est bonne.  Cela permet de ramasser plus d’information, d’ajouter le support d’une autre personne dont l'apport est habituellement apprécié par l’équipe.  Attendre une semaine de plus pour obtenir un solide consensus n’est pas un prix très élevé à payer.  Céder sur un point sans importance pour obtenir du support pour un concept plus important est une situation de négociation efficace pour construire un consensus. 

 

Félicitez les membres du groupe pour leur contribution.  Soulignez la valeur du partage des idées.  Complimentez le groupe pour un travail bien fait.  Terminez la rencontre par une ouverture positive vers l’avenir, sur des images de collaboration et d’ouverture, d’étapes à franchir vers un objectif commun.  Évoquez de façon positive l’idée de travailler à nouveau ensemble.  Cela facilite le travail de groupe et suscite un sentiment de satisfaction au travail,

 

 

Conclusion

 

En encourageant les gens à agir de façon cohérente, en fonction de leurs valeurs et de leur image d’eux-mêmes, en tenant compte des risques de récompenses et des punitions associées à leur choix, le travailleur social contribue à les motiver, à les mettre en mouvement ou à leur permettre de s’arrêter lorsque la situation l’exige.  Convaincre et persuader est un geste qui peut être hautement moral lorsqu’il est au service du mieux être du client et du système qui l’entoure. 

 

Il ne s’agit pas de partir en campagne publicitaire illimitée pour convaincre tous et chacun de choses sans importance.  Ne gaspillez pas votre pouvoir de convaincre sur des peccadilles.  Ne mettez pas 250$ d’énergie sur quelque chose qui ne vaut que 2,50$.  Vous y perdriez de la crédibilité et risqueriez l’épuisement.  Conservez votre énergie pour les luttes qui en valent vraiment la peine. 

 

Terminons cet éloge de la persuasion en soulignant l’importance de parfois… se laisser persuader.  Se laisser convaincre n’est pas un signe de faiblesse, d’incompétence ou d’immaturité.  Une fois mieux informés, confrontés à de nouvelles idées et à de nouveaux points de vue, souhaitons aux intervenants psychosociaux la souplesse et la capacité d’adaptation nécessaire pour modifier leur point de vue.  Souhaitons surtout que cela soit un choix.  Le travailleur social n’a pas à être victime du pouvoir de persuasion d’autrui mais plutôt acteur impliqué au cœur des débats importants ! 

 

Références

 

Barilan, Y. Michael et Weintraub, Moshe, (2001).  Persuasion as respect for persons : An alternative view of autonomy and of the limits of discourse.  Journal of Medicine and philosophy, 26 (1), 13-33. 

Cialdini, Robert. B.(octobre 2001).    Harnessing the science of persuasion.  Harvard Business Review, 79 (9), p. 72-79.

Davidhizar, Ruth (Summer 2000).  The art of getting what you want for optimal patient care.  Journal of Practical Nursing, 50 (2), p. 16-18, 19, 22. 

Davidhizar, Ruth. et Eshlemane, Jan (Dec 1999).  The friendly art of persuasion.  Health Care Manager, 18 (2), p. 41-46. 

Davidhizar, Ruth. et Rozendal, S (June 1998).  The art of persuasion.  Administrative Radiology Journal, 17 (6), p. 13-15. 

Varga, Daniel. W. (Feb 2001)  On persuasion.  Journal of the Kentucky Medical Association, 99 (2), p. 69-70.

Wood, Wendy (2000).  Attitude change: persuasion and social influence.  Annual Review of Psychology, 51, p. 539-570.