Profiter des conversations difficiles :

Une question de sécurité et de respect

(1ère partie)

 

Bruno Fortin, psychologue

 

Les conversations difficiles font partie de la vie.  Nous savons jusqu’à quel point on peut avoir une peur profonde de blesser quelqu’un ou d’être blessé.  Nous savons ce que cela signifie d’être rongé par la culpabilité au sujet d’actions qui ont affecté autrui ou de situations où nous nous sommes laissés maltraités.  Même dans les meilleures conditions, les relations humaines peuvent devenir corrosives, entremêlées, et pour être honnête, nous savons aussi que nous n’avons pas toujours les meilleures intentions. 

 

Les conversations les plus épuisantes ne sont pas nécessairement avec les patients.  Elles sont parfois avec les collègues ou les membres de l'équipe cléricale, administrative ou de soins.  Il est normal d'avoir à affronter des situations inconfortables appelées tantôt difficiles (Sheila Heen et ses collaborateurs, 2008), tantôt cruciales (Kerry Patterson et ses collaborateurs, 2002).

 

 

 

Ils ont étudiés pendant des années les personnes qui ont un talent particulier pour bien gérer même les conversations et les confrontations les plus difficiles.  Ils ont constatés que nous ne sommes pas tous égaux face aux tensions relationnelles.  Nous connaissons tous certaines personnes qui vont se mettre les pieds dans les plats dans les situations délicates et d'autres qui s'en sortent mystérieusement bien même dans les situations les plus difficiles.

 

 

La demande de changement

 

Il peut être tentant de commencer par vouloir changer autrui.  C’est bien humain.  Beaudry et Boisvert (1999) suggèrent de mettre de côté la notion de critique pour penser plutôt en termes de demande de changement.  Ces demandes de changement peuvent être formulées en ayant recours aux éléments suivants :

 

1. Décrire les faits de la façon la plus objective possible.

2. Exposer l'histoire que l'on se raconte à ce sujet, nos hypothèses, le sens que l'on donne à ces événements.

3. Partager nos émotions.

4. Exposer nos souhaits: comment on souhaiterait que les choses se passent à l'avenir.

5. Demander à notre interlocuteur de réagir.

6. Écouter attentivement et patiemment sa réponse. 

 

Les personnes de bonne volonté pourront être influencées de bonne foi par ce genre de stratégies.  C’est une stratégie de base qui peut être bien utile lorsqu’on ne sait plus quoi dire. 

 

Voyons un exemple. 

 

«Lundi après-midi, lorsque vous avez pris la parole devant tout le personnel en affirmant que je n’avais pas fait ma part pour l’organisation des conférences scientifiques, j’ai trouvé cela désagréable et injuste.  J’en suis resté bouche bée.  Je me suis dis que vous ne deviez pas m’avoir en grande estime pour ne pas prendre la peine de vérifier mon implication réelle dans ce projet avant d’en parler publiquement.  C’est moi qui présente en septembre et en décembre.  Je me sens blessé et fâché.  J’aimerais que vous informiez les gens de la réalité de mon implication et à l’avenir, que vous preniez la peine de me consulter avant de passer des commentaires à mon sujet.  De mon côté, je prévois réagir plus rapidement si jamais une telle situation se produisait.  Qu’en pensez-vous?  »

 

La conversation cruciale

 

La vie serait plus simple si les gens étaient tous pleins de bonne volonté, souple et prédisposé à nous écouter, à nous comprendre et à mettre de côté leurs besoins pour prioriser les nôtres.  La réalité est plus complexe, influencée par nos conflits de besoins, nos préjugés et nos mauvaises habitudes de communication.  Submergés par des émotions intenses, notre système surchargé d’adrénaline, nous ne sommes pas toujours à notre meilleur pour comprendre et nous exprimer.  Patterson, Grenny, McMillan et Switzler (2) insistent sur l’importance du partage d’information.  Ils utilisent une métaphore où l’information est contenue dans un réservoir.

 

Chacun entre dans ces conversations avec ses opinions, ses sentiments, ses théories et ses expériences au sujet de la situation conflictuelle.  C’est notre réservoir personnel de signification.  Le contenu de ce réservoir détermine nos comportements. 

 

Il faut alimenter un réservoir commun et s’assurer que toute l’information s’y retrouve.  À mesure que le réservoir commun s’agrandit, les choix s’améliorent.  C’est une mesure du QI du système.  Plus le contenu du réservoir commun est grand, plus les décisions sont intelligentes. 

 

Si le réservoir commun est presque vide, il y aura des décisions stupides même par des personnes très intelligentes.  Exemple : Un patient s’est fait couper le mauvais pied lors d’une opération parce que les gens présents avaient peur de parler.

 

Le résultat de nos efforts dépendra en grande partie de notre habileté à gérer nos émotions pendant que nous nous sentons menacés/sous-attaque/fâché.

 

Commençons par examiner nos motifs.  «Qu’est-ce que je veux vraiment dans cette situation?»  Clarifier notre but évitera que sous la pression, sans s’en rendre compte, sous l’effet de l’adrénaline, notre but se transforme en «bien paraître, fuir vers la sécurité, éviter l’embarras, gagner, avoir raison, punir l’autre».  La conversation devient difficile.  Vous sentez qu’elle glisse dans une direction peu productive.  Que faire?  C’est le temps de vous réorienter, de sortir votre boussole et de trouver le vrai nord.  Arrêtez-vous et demandez-vous :

 

 

Puis

 

 

 

Attention au tout ou rien, aux situations où l’on croit qu’il n’y a que deux choix.  Recherchons une troisième option.  Soyons créatif. 

 

 

«Paul, j’aimerais te parler de quelque chose.  (Seul avec lui).  Cela fait des années que nous sommes des amis et je ne serais pas vraiment ton ami si je ne te parlais pas de ce que je trouve important.  J’aimerais que tu m’écoutes sans te fâcher.  Vendredi passé, j’ai entendu les secrétaires parler entre elles du fait que tu dégages une odeur désagréable.  Je sais que tu es un sportif et que tu profites de toutes les occasions pour te mettre en forme mais l’odeur de transpiration incommode les gens.  Je suis d’accord avec elles.  Je crois que tu devrais faire attention à cet aspect.  Je ne veux pas te faire de peine ou te fâcher, mais cela faciliterait le climat de travail pour tout le monde si tu prenais soin d’être attentif à ce point là. »

 

Le sentiment de sécurité

 

En plus d’identifier quand une conversation devient cruciale (réaction physique, émotion, comportement), il importe aussi d’identifier les signes indiquant que les gens ne se sentent pas en sécurité dans notre conversation.  Cela se manifeste souvent par le silence ou la violence. 

 

Lorsqu’on se sent en sécurité, on peut dire n’importe quoi.  Lorsqu’on croit que l’autre a à cœur notre intérêt personnel, on est réceptif à son feedback.  Lorsque vous êtes surpris que des personnes habituellement intelligentes, raisonnables, rationnelles et décentes adoptent des comportements que vous trouvez vraiment excessifs, faites l’hypothèse qu’il s’agit de signes qu’elles ne se sentent pas en sécurité.  C’est à notre avantage de rétablir le sentiment de sécurité même si habituellement ce ne soit pas notre réaction spontanée.

 

«Je ne serais pas vraiment un ami très fiable si je ne t’informais pas d’un élément qui risque de compliquer tes relations amicales et professionnelles au bureau.  Ce n’est pas le genre d’ami que je veux être.»

 

Lorsque nous sommes pris dans une conversation cruciale, c’est difficile de voir exactement ce qui se passe et pour quelle raison cela se passe ainsi.  Lorsque la conversation commence à devenir stressante, nous nous retrouvons souvent à faire le contraire de ce qui serait efficace.  Nous nous tournons vers des comportements moins efficaces qui constituent notre réaction de survie sous l’effet du stress : camoufler, éviter, se retirer, contrôler, étiqueter et attaquer. 

 

Il vaut mieux apprendre à observer le contenu de la conversation et les réactions de l’entourage, les moments où la conversation devient cruciale, les menaces au sentiment au sécurité, le mouvement vers le silence ou la violence et l’apparition de notre réaction de survie sous l’effet du stress.

 

 

Rétablir la sécurité et exprimer du respect

 

Lorsque la tension monte, prenez une distance du contenu stressant, rétablissez un sentiment de sécurité, puis revenez au sujet stressant. 

 

Il y a deux volets au rétablissement d’un sentiment de sécurité.  Le premier consiste à trouver un but commun (qui tient compte des buts, des intérêts et des valeurs de l’autre) qui aidera à mettre de côté l’hypothèse que la personne est de mauvaise foi et à son propre service.  Cela présuppose que nous croyons également que l’autre est intéressé à tenir compte de nos buts, de nos intérêts et de nos valeurs.  L’établissement d’un but commun favorise le sentiment de sécurité. 

 

Le second volet consiste en l’expression d’un respect mutuel.  C’est une condition nécessaire à la poursuite d’une conversation cruciale.  Le respect est comme l’air que l’on respire : si vous en manquez, vous ne pouvez plus penser à quoi que ce soit d’autre.  Dès que l’on perçoit un manque de respect, l’interaction perd son sens original pour devenir un effort pour défendre sa dignité.  Les émotions passent de la peur à la colère.  Demandez-vous

 

 

Heureusement, nous n’avons pas à partager chaque objectif et à respecter chaque élément d’autrui.  Nous sommes tous semblable à un certain degré.  Il s’agit de ressentir une certaine sympathie ou une certaine empathie pour la condition d’être humain de l’autre personne. 

 

N’hésitez pas à vous excuser lorsque c’est approprié : lorsque vous avez fait une erreur qui a blessé les autres.  Exprimez que vous êtes désolé d’avoir participé à créer (ou de n’avoir pas prévenu) une douleur ou une difficulté pour les autres.  Cela rétablit un lien respectueux qui vous permettra de poursuivre la conversation. 

 

«Patron, je suis désolé de ne pas être sorti lorsque l’alarme pour le feu s’est déclenchée.  J’imagine que cela a contribué au fait que vous demeuriez aussi dans les locaux et que les gens vous le reproche pas la suite.  La prochaine fois, je crois que nous devrions tous deux suivre les directives officielles.  Qu’en pensez-vous?»

 

 

Utiliser le contraste et formuler l’intention positive

 

Vous pouvez également utiliser la technique du contraste pour rassurer votre interlocuteur.  Il s’agit dans un premier temps d’expliquer que ce qu’il semble craindre n’est pas votre intention, puis de spécifier quelles sont vos intentions.  Il ne s’agit ni de s’excuser ni de nier la réalité mais plutôt de mettre la situation en contexte. Lorsqu’il y a un malentendu au sujet de vos intentions, arrêtez, utilisez le contraste, puis reprenez la conversation. 

 

«Je ne veux pas que tu penses que je n’apprécie pas le temps que tu mets à t’occuper des horaires.  Je l’apprécie beaucoup et je sais que je n’aurais vraiment pas pu faire aussi bien.  J’ai toutefois des préoccupations au sujet de la façon que nous utilisons le nouveau système informatique.  Je crois savoir comment nous pourrons équilibrer la répartition des tâches.»

 

La recherche d’un but mutuel peut passer par quatre stratégies :

 

1)    L’engagement à rechercher ensemble un but mutuel

Il s’agit de l’engagement à se maintenir à l’intérieur de la conversation jusqu’à ce qu’on ait trouvé un but partagé.  Cela implique de mettre de côté la croyance que notre choix initial est absolument le seul et le meilleur et que nous ne serons jamais satisfait jusqu’à ce que nous ayons exactement ce que nous voulons présentement.  Nous devons ouvrir notre esprit à la possibilité qu’il y ait un choix différent qui pourrait faire l’affaire de tous.

 

2)    Reconnaître le besoin derrière le moyen

Plutôt que de se confronter sur différents moyens de satisfaire nos besoins, il vaut mieux partager la nature de nos besoins, puis rechercher une façon mutuellement satisfaisante de satisfaire nos besoins.

 

Plutôt que de se battre pour savoir quel film aller voir, une fois leurs besoins mutuels de loisirs clarifiés, Claire et Paul sont parti prendre une ballade en auto pour sortir de la maison et passer un peu de temps seul sans les enfants.

 

3)    Inventer un but mutuel

Cela peut être utile de trouver un but mutuel de plus haut niveau qui aidera à faire des choix dans les situations complexes.

 

Exemple : Les besoins conjugaux et familiaux passent avant les aspirations professionnelles.

 

4)    Faire un remue-méninge pour inventer de nouvelles stratégies

Associez librement pour trouver des moyens de satisfaire les besoins de tous.  Suspendez votre jugement pour l’instant et pensez de façon créative. 

 

 

Ne visez pas la perfection.  Visez le progrès.  Appliquez certaines techniques pour certaines conversations cruciales peut déjà faire une différence.

 

 

 

Références

 

Beaudry, M. et Boisvert, J.-M. (2005).  S'affirmer et communiquer, Éditions de l’l'Homme, 328 pages.

Heen, Sheila, Patton, Bruce et Stone, Douglas. (2008).  Comment mener les conversations difficiles.  Paris : Éditions du Seuil.  270 pages. 

Patterson, Kerry, Grenny, Joseph, McMillan, Ron et Switzler, Al (2002).  Crucial conversations : Tools for talking when stakes are high.  New York: McGraw-Hill, 236 pages.

 


 


 

 

 

 

 

 


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Psychologue en milieu hospitalier depuis près de 30 ans, Bruno Fortin s'intéresse particulièrement aux stratégies d'adaptation face aux situations stressantes de la vie. Il a une vaste expérience d'enseignant et d'animateur d'ateliers. Il est l'auteur et le coauteur de nombreux ouvrages dont Intervenir en santé mentale (réédité en 2006 dans une version revue et augmentée aux éditions Fides), La gestion du stress au travail, La gestion des émotions, Se motiver et convaincre et le tout dernier Vivre avec humour (aux éditions CPF.).




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